Textes des élèves de 2nde 4 – Lycée Ella Fitzgerald Vienne

ATELIER D’ECRITURE SUR LES DISCRIMINATIONS – CLASSE DE 2NDE 4

Atelier animé par Ahmed Kalouaz, avec l’association Coup de Soleil

Automne 2011

COULEURS

Rame Yade-Zimet a écrit: « On ne peut pas réduire son identité à une couleur de peau ».

« Va voir un peu ailleurs si j’y suis. Va donc voir très loin. »

Ces mots-là sont durs, et quelle que soit la manière dont ils sont prononcés, il y a toujours une part de mépris.

Aujourd’hui, c’est moi à qui on les a adressés. Je ne connaissais pas la personne, ce qui est encore plus blessant, mais j’ai tout de même entendu ces mots. Au début, je n’ai pas compris le sens de cette phrase. Et puis ensuite, tout s’est éclairé. J’avais déjà entendu parler de ce genre de problèmes ici, et apparemment, cela se produit partout.

La personne avait pourtant l’air aimable. Un jeune homme d’une vingtaine d’année peut-être. Un air doux et innocent. Ce même air qui fut transformé au moment où il m’aperçut.

Le dégoût, le mépris, la haine, et la pitié. Quatre expressions très marquées, qui ne veulent dire qu’une chose dans ces moments-là: Le racisme.

Ces mots prononcés, je les ai compris comme cela: « Tu n’es pas d’ici, tu es noir. Rentre dans ton pays. »

White Shield a écrit: « ce n’est pas la couleur de ma peau qui me rend bon ou mauvais.

« Ma foi je propose, nos vies en couleur ». Les Ogres de Barback.

L.

Je me souviens…

Je me souviens de l’école comme d’un vaste souvenir qui me hante encore aujourd’hui. Je me souviens du bruit des craies sur le tableau, de mes cahiers pleins d’écrits et surtout, je me souviens de son visage. Elle était là, debout au fond de la classe , son regard vide et je sentais en elle la tristesse. Je me souviens de ce jour comme pour celui de la première rencontre de ma vie.

Elle regardait par la fenêtre les feuilles d’automne qui tombaient sur le pavé.

Je me souviens, j’étais assis à l’autre bout de la classe, mes yeux ne pouvaient se détacher de son beau visage, elle avait les cheveux ondulés qui descendaient sur ses épaules. Des cheveux dorés qui laissaient entrer la lumière. Bien que je me souvienne de cette époque-là, aujourd’hui, après cinquante ans, je me demande: qu’est-elle devenue après toutes ces années ?

Je m’appelle James Edison et je travaille à l’université de Brekfield. Cinquante ans se sont écoulés depuis la dernière fois, oh ma petite Sarah ! Que j’aimerais te revoir un jour.

La sonnerie sonne, dix-huit heures, les élèves sortent sauf un. Je me suis approché de lui, il était pensif, bien sûr je n’ai pas pu me souvenir de son nom, car étant professeur dans une université, il m’était impossible de me souvenir de tous ces noms.

Pourtant, celui-ci me paraissait si différent des autres élèves, sans doute un exclu, seul dans sa classe. Sakeh Sangaré, est originaire d’Afrique et m’a raconté ce jour-là qu’une fille dans le premier rang de sa classe avait attiré son attention, il en était tombé amoureux, mais que de par ses origines, celle-ci l’avait rejeté lorsqu’il avait voulu faire plus ample connaissance avec elle. L’histoire de ce garçon me rappelle mon histoire : une fille, un profond sentiment d’amour mais un rejet de par nos différences. Nous avons discuté longtemps, si longtemps que le ciel en dehors en devint sombre. La sonnerie sonne, dix-neuf heure, l’élève sort, j’en fais de même.

Les différences sont là, tout autour de nous, certaines ne se voient pas, d’autres nous font mal. Mais au fil du temps, on apprend à les accepter.

James Edison

A.

Moi je n’aime pas ces gens-là, ces gens qui méprisent les personnes qui viennent d’ailleurs. Ils disent qu’ils sont différents. Quelles différences ? Nous sommes pareils : nous avons tous deux bras, deux pieds des cheveux et un nez ! Certes la couleur de peau n’est pas la même, mais nous sommes de la même espèce, l’être humain, alors pourquoi des humains sont traités comme des animaux ?

M.

Va voir un peu ailleurs si j’y suis petit clandestin du Bahreïn. Retourne donc dans ton pays au lieu de squatter le mien. Il n’y a pas de place ici pour toi et les tiens. Tu es un bon à rien, et ne crois pas que tu pourras fuir les misères qui te sont destinées.

Non seulement tu es un lâche car tu abandonnes ton pays natal , mais en plus , paresseux que tu es , comme si cela ne suffisait pas , au lieu d’être reconnaissant auprès de la France , de ma France qui t’héberge , tu enfreins les lois , n’en faisant qu’à ta tête . Ta façon de trahir ces pauvres gens qui ont cru en ton honnêteté me révolte. Et tout ça pour quelques pièces. Tu ne penses qu’à arnaquer, il ne te vient pas à l’idée d’être respectueux. Ce qui compte pour toi c’est ta survie ? Le reste t’est égal. Alors quand tu me demande de l’aide, je n’ai qu’une chose à te répondre ; va voir ailleurs si j’y suis.

D.

Moi je n’aime pas ces gens-là, tout ceux qui jugent sans connaître et qui excluent des groupes de personnes à cause de leur couleur de peau ou de leur origine. Alors ces personnes-là se sentent rejetées alors qu’elles n’ont pas de raisons de l’être. Tout le monde a la droit à du respect. Tout le monde peut être considéré en tant qu’être et au même niveau que tous les autres. Pourquoi certaines personnes se sentent-elles supérieures aux autres ? Grâce à leur argent ou leur milieu social, ils se croient tout permis. Croient-elles qu’elles peuvent échapper à tous les échappatoires de la vie ? A croire qu’elles ne pourront pas avoir un accident et devenir tétraplégique du jour au lendemain. Mais tout le monde est égal face aux hasards de la vie.

Toi, oui, toi, qui lis ce texte, tu ne sais pas de quoi l’avenir est fait.

M.

« Tu n’as rien à faire chez nous sale noir ! Tu nous empiètes la vue, on dirait une grosse tâche, une énorme ordure, une crasse astronomique. Si au moins tu servais à quelque chose dans notre société, mais non, toi tu ne travailles pas et tu es au chômage, tu touches des allocations phénoménales parce que tu as 15 enfants ! Et moi je travaille 45 heures par semaine et je gagne deux fois moins que toi ! Il faut faire en sorte que l’état interdise l’entrée des étrangers en France avec ou sans papiers et qu’ils retournent tous dans leurs pays ! Et en plus, les gens qui sont comme toi avec ta sale race, ils ne font que faire des altercations avec nos gamins, qui se sentent plus en sécurité maintenant. Je te le redis : retourne dans ton pays sale noir au cas où tu n’aurais pas compris ! »

Ca, c’est ce qu’on m’a dit l’autre jour, alors que je suis français depuis plusieurs générations, que je travaille 45 heures par semaine et que je gagne le SMIC tout comme lui. Je suis marié avec une blanche, je n’ai qu’un enfant et je n’ai pas d’allocation. Et depuis je suis devenu raciste, raciste envers les racistes qui discriminent les gens de couleurs.

J.

Moi, Jean-Louis, 87 ans, aujourd’hui je vis en France mais je me souviens, il y a 72 ans, j’avais 15 ans, je vivais en Allemagne avec mes parents. Je faisais un travail plutôt banal, oui, je labourais des champs. Mais arrivée au mois de Septembre ou Octobre, je ne sais plus exactement, mes parents m’ont interdit de sortir. Je n’avais même plus le droit d’aller travailler. Eux aussi restaient enfermés à la maison. Lorsque je leur demandais ce qui se passait, essayant de comprendre, mon père me répondait toujours « C’est mieux pour toi, maintenant file dans ta chambre ». Et ma mère me montrait bien que je l’embattais avec mes questions, à chaque fois, elle faisait semblant de ne pas entendre et entamait un nouveau sujet de discussion.

Un an plus tard, ne sachant toujours pas ce qui se passait, je décidai de faire chanter mon père, je lui laissai le choix entre tout me dire ou me laisser sortir, j’estimai que j’étais grand maintenant, j’avais seize ans tout de même, j’avais l’âge de comprendre. Au début mon père ne céda pas, mais quand il vit que j’allais vraiment sortir, il me rattrapa et me dit de m’asseoir, là, à côté de lui. Puis pour la première fois de ma vie, il me parla. Il me dit que des militaires surveillaient les rues nuits et jours et que si on sortait on se ferait emmener dans ce qu’ils appelaient un camp de concentration. Un copain à lui qui avait réussi à s’en échapper lui avait dit que là-bas, ils nous feraient travailler, tout en nous torturant jusqu’à nos dernières ressources, pour finir par nous faire croire qu’on prendrait une douche mais sans jamais revenir … Après cette révélation, je ne sus quoi lui répondre donc je partis dans ma chambre décidant, désormais, de faire ce qu’il me dirait. Cela a duré plusieurs années, puis en 1944, au mois de Juillet il me semble, mes parents ont décidé de fuir dans un pays où nous pourrions vivre normalement du moins jusqu’à ce que l’Allemagne se calme. Je les ai suivis, à vrai dire je n’avais pas vraiment le choix. Cela avait déjà duré cinq ans. Cinq ans de ma vie que j’ai perdus, tout ça parce que je suis juif !

M.

Je suis isolée de tout. Je ne sais pas pourquoi, tout le monde me rejette. Ca doit être à cause de ma couleur de peau. Je pensais qu’aujourd’hui on avait dépassé tout ça. Je pensais que les gens avaient abandonné l’idée de différencier quelqu’un pour son origine. Je suis déçue de voir que ce n’est pas le cas. J’aimerais qu’on me regarde normalement, pas comme si j’étais une bête sauvage, ou une espèce d’alien. J’aimerais être considérée comme tout le monde. A quoi bon. Personne n’arrivera à changer les idées communes, je resterai comme je suis et comme tant d’autres le sont, une personne discriminée.

L.

Moi, je n’aime pas ces gens-là, ces gens qui nous dévisagent, nous méprisent, nous traitent comme des moins que rien et qui font de nous des êtres inférieurs alors que nous sommes tous égaux sur cette terre. Oui parlez de nous si cela vous plait, au moins, vous aurez un sujet de conversation intéressant. Pourquoi nous traiter différemment? Nos origines vous déplaisent tant que ça ou est-ce notre couleur de peau qui ne vous enthousiasme pas? Après tout nous ne sommes pas si différents les uns des autres. Nous avons tous un corps qui fonctionne plus ou moins de la même manière. Ne pouvons-nous pas vivre en harmonie sans préjugé ni ressentiment? Avec acceptation et entraide? Non je ne les aime pas car ils veulent nous voir disparaître car nous ne sommes pas leurs sosie ou nous n’avons pas les même idéaux.

Aucune loi n’interdit ces différences… enfin pour le moment.

Foutaises, tu n’es pas un homme, tu n’es même pas digne de vivre, va te cacher et va brûler en enfer. Pourquoi fuis-tu la vérité? Elle est aussi mauvaise que toi. Etre malin ne t’apportera que la mort! Mais au moins, être honnête te fera redevenir humain et vivant.

V.

Moi, je connais le monde du football, je connais les règles, je connais les contraintes, je sais que c’est un monde difficile. Je sais aussi que c’était pour moi un rêve que beaucoup ont réussi à réaliser. Car oui, ce serait une vie parfaite, je pense : de l’argent gagné par une passion, les bruits de ballons qui terminent au fond des filets, marquer, scorer.

Mais je suis dans une situation qui me tourmente, noir et footballeur. Les bruits de singe et les sifflets qui grondent dans les travées.

Pourtant je me bats pour être un jour acclamé.

Je me souviens de cet homme au pays. Il nous promettait cette vie parfaite. Aveugles, nous avons foncé ; pas une seconde je n’ai pensé aux difficultés. Je n’ai pas eu la raison, je n’ai vu que le bonheur final. Pourtant je n’oublie pas, je me souviens de mon dernier entraînement au pays, avec les potes, lorsque j’étais encore près des miens. Les encouragements se sont vite transformés en insultes, en moqueries. Lorsque l’équipe perd, je suis le bouc-émissaire, les journaux remettent la faute sur moi, le sale immigré, Thomas Sissoko. Je relis encore les phrases assassines à mon égard, je me revois encore lorsque j’entrai pour la première fois sur mon nouveau terrain : insultes, gestes racistes, bruits de singe résonnant dans ma tête. Mon courage en prit un coup, mon jeu aussi d’ailleurs. Je n’ai jamais pu rentrer dans mon match, je n’ai rien pu faire, le quart d’heure passé là fut le plus long de ma vie, je venais de perdre mon envie. Pourtant, j’ai gardé la force qui me caractérise, surtout quand l’entraîneur me parle pour me redonner espoir et confiance.

On m’avait dit que ce monde était dire, mais persuadé du contraire, j’avais foncé. Je ne pouvais et ne voulais plus continuer dans cette situation. Ma jeune carrière, sûrement trop jeune, n’a jamais démarré.

Mon courage ? Envolé, tout comme l’envie de me battre avec force dans ce monde de discriminations qui me laisse des traces malheureusement indélébiles. Je ne sais ni quoi faire, ni ce qui est le mieux à faire, je pense souvent au pire, passer de l’autre côté, faire un geste sans raison, mais j’ai perdu toute mon envie, je ne veux plus vivre cela. Finalement, je ne suis peut-être pas assez fort pour cela, et si je pouvais changer ma vie, je prendrais plus en considération les aides de mes parents, et j’aurais sûrement eu moins confiance en moi et en mon « talent » décidément pas suffisant pour être au plus haut de l’affiche…

L.

Moi, je n’aime pas ces gens-là
ces personnes toujours contentes, joyeuses
ça m’énerve.
Ces personnes honnêtes
ça me révolte.
Ceux qui disent toujours merci
ça m’irrite.
Ces gens à la peau mate ou foncée
ça m’horripile.
Moi, je n’aime pas ces gens-là
J’aime les gens comme moi, qui n’ont pas froid aux yeux,
qui se plaignent pour un rien.
Ah oui je les aime
J’aime voir les gens se disputer, se quereller pour un rien.
J’aime les voir pleurer
Ah oui que j’aime ça!!

C.

 

FEMMES

Homme, es-tu capable d’être juste ? Regarde cette femme en face de toi, fais le lien avec la mitraillette que tu tiens entre tes mains. Es-tu ûr de vouloir faire ça ? Tuer n’est-il pas un péché ? T’a-t-on élevé comme ça ? Qui es-tu pour pouvoir faire justice ? Cette femme a peut-être trompé son mari mais toi, tu es bien polygame, non ? Si tromper est un crime alors toi aussi tu dois être à sa place. Comment ? Tu dis que ça n’a rien à voir ? Pourquoi donc ? Être un homme ne veut pas dire être supérieur. Tu as peut-être plus de force que cette femme, mais c’est tout.

Et oui ! Elle te regarde dans les yeux, tu ne lui fais pas peur malgré tous les coups que tu lui as donnés en prison hier.

Premier tir

Elle se tient là, debout devant toi, tu lui as seulement touché l’abdomen. Elle te défie. Quoi ? Toi, homme, tu baisses les yeux devant elle, femme ? Maintenant elle t’intimide, elle te résiste. Tu es déstabilisé, ça t’énerve, tu ne sais plus quoi faire. Il suffit juste que tu lâches cette arme et tout ça sera fini. Ah non ! C’est vrai, tu ne peux pas faire ça, tu es un homme, un vrai, tu ne peux pas baisser les bras, tu as ta « fierté ».

Deuxième tir

Ça y est, elle est par terre, elle est morte. Tu es fier de toi ? Tu dis te battre pour la liberté de ton pays mais tu n’es même pas capable de protéger celle des femmes.

E.

Homme êtes-vous capables d’aimer une femme sans la faire souffrir ? Etes-vous capables d’être justes avec elle ? Juste lui donner le bonheur et lui faire comprendre ce qu’elle représente pour vous … Sentez-vous capables de faire cela ? Ou c’est trop demander ?

Pourtant c’est elle qui vous a mis au monde et c’est aussi elle qui a mis vos enfants au monde. Pourquoi n’êtes-vous pas reconnaissants envers elle ? Qu’est-ce qu’elle vous a fait pour que vous lui en fassiez subir autant ? Parce que c’est une femme ? C’est parce que vous vous sentez plus forts et supérieur qu’elle que vous réagissez de cette façon-là?

Vous détestez lorsqu’on vous contredit ou qu’on s’oppose à vous et, au lieu de régler ce problème intelligemment, la seule chose que vous savez faire c’est de la battre, de la battre, de la battre jusqu’à ce qu’elle se taise. Vous êtes contents car vous avez gagné et vous savez : lorsqu’elle recommencera, vous aussi vous recommencerez. Mais un jour, ce sera peut-être la dernière fois que vous la battrez.

D.

Mon mari, lève la main sur moi pour tout et pour rien. Parce qu’il a faim, parce que ce que je fais ne lui convient pas. Je n’ose pas en plus rentrer chez moi, j’ai peur de lui, j’ai peur de tout donc je m’isole de tout. Je ne sors plus pour ne pas que l’on voie les bleus qui colorent mon visage, je ne vais même plus chez le médecin de peur qu’il voit les marques qu’elles soient récentes ou anciennes sur mon corps car je sais que mon mari rentrerait dans une rage folle et qu’il ne se contrôlerait plus. Ça ne serait plus des coups qui me blesseraient physiquement et mentalement, ces coups me donneraient la mort car mon corps est fatigué, épuisé, livide à force de recevoir des coups. J’ai bien essayé d’en parler : à mes ami(e)s, à ma famille, à sa famille mais rien n’y fait. Ils ne me croient pas, pour eux mon mari est un ange, un amour de mari car les seuls moments, les seuls instants de repos que mon c?ur et mon corps peuvent avoir, c’est quand nous sommes en famille ou avec des ami(e)s. C’est comme si, il était une personne mais avec deux visages. Le regard qu’il me jette me fait frissonner, il me glace le sang car je sais ce qui vient après ce regard : il vient les coups, toujours les coups. Tous les soirs, quand je rentre, je sais que c’est pour me faire frapper, pour être rabaissée plus bas que terre. La mort est sans cesse à mes trousses, tous les jours je me bats contre elle mais aujourd’hui, je ne veux plus me battre, je n’ai plus la force de me battre. Alors que je m’apprête à recevoir encore un autre coup, je ferme les yeux en espérant ne plus jamais les ouvrir… !

A.

Je suis isolée de tout. Je me sens perdue. Mais je suis perdue. Je ne sais pas où j’en suis. Tout le monde m’exclut et me rejette. Même mon mariage n’est que fictif. Il a été arrangé par mes parents et mes beaux-parents. Mes parents me renient car je suis une fille alors ils doivent, ils sont obligés de me marier avec un homme qui ne m’a pas choisie et que je n’ai jamais vu. Je suis dépitée. Je ne sais plus quoi penser car personne ne prend soin de moi. Je suis seule chez mon « mari ». J’ai trouvé une feuille de papier pour décrire mon isolement. Je me sens moins seule en écrivant même si personne ne lira jamais ce journal intime à part peut-être lorsque je ne serai plus de ce monde. Tous les soirs il abuse de moi mais je ne peux rien faire ni rien dire.

Je m’appelle Laïla, j’ai huit ans et la calvaire ne fait que commencer.

M.

FAMILLE

Toi qui lis ce message qu’en penses-tu?

Tout d’abord je te présente ma famille: Ma mère s’appelle Martine et a 50 ans, mon frère s’appelle Christophe et a 18 ans et enfin ma soeur qui a 16 ans et s’appelle Justine.

Je suis le petit dernier de la maison.

Eh oui!

Je m’appelle Daniel j’ai 14 ans.

Mon frère me bat quand je ne fais pas ce qu’il demande… Ma mère, elle, s’en moque et fait de même, elle m’oblige à aller à l’école quand je suis malade. Comme preuve: j’ai dû aller en cours un jour où j’avais 40 de fièvre, je me suis évanoui mais ma famille ,elle, croit que ce n’était qu’un mensonge , que je faisais du cinéma. J’en ai marre, ma soeur se sert de moi comme bouc-émissaire et moi je me fais tout le temps punir à sa place.

Mon père est mort dans un accident de voiture, en m’emmenant chez mon médecin. J’étais derrière et j’ai réussi à m’en sortir mais mon père n’a pas eu de chance et le coup que le volant lui a porté lui a était fatal. Alors tu devines pourquoi ma famille est comme ça?

Oui, elle me tient responsable de la mort de mon père! Soi-disant que si je n’avais pas été malade il ne serait pas mort! Ils déversent leur haine et leur peine sur moi car ils me détestent!

Pourtant, est-ce vraiment de ma faute? Je ne devrais pas être aussi triste qu’eux? Une famille ne devrait pas se serrer les coudes?

O.

Famille mosaïque

C’est dimanche soir, 20 h ,fin de weekend tranquille .Ma mère regarde les informations.nous sommes au début de la campagne électorale , des chiffres attirent mon attention , le parti d’extrême droite atteint dans les sondages un nombre à deux chiffres qui m’impressionne. Je me demande comment il est possible qu’une grande partie de la population puisse avoir des idées tellement arrêtées et tellement agressives. Je suis issu d’une culture du soleil. Mes grands-parents sont nés de l’autre côté de la Méditerranée et jamais on ne m’a appris la haine envers les autres sous prétexte qu’ils ont une couleur de peau un peu ou très différente de la mienne .Au contraire nous avons ce que nous appelons une famille �� mosaïque » : l’ami de ma s?ur est russe , l’amie de mon frère est moitié belge moitié suédoise, l’ami de ma cousine est marocain, je vais bientôt avoir un petit cousin moitié japonais moitié français et mon oncle vit à Manchester avec une Ecossaise ! Mon arrière-grand-mère est née à Majorque et mon autre arrière-grand-mère est née en Allemagne. Nous sommes riches de toutes ces différences, chaque personne à part entière avec sa culture, son histoire, ses blessures familiales, et je ne vois pas qui de l’un ou de l’autre pourrait avoir plus le droit d’exister sur une terre ou une autre de par ses origines .Ah ! Jallais oublie le petit Ezéquiel vient de rejoindre notre famille mosaïque. Il a la peau mate comme le chocolat, les cheveux noirs comme l’ébène, deux billes rondes à la place des yeux, un sourire magnifique et du haut de ses deux ans, après avoir été adopté sûrement après deux années de vie très difficile, lorsqu’il a fait notre connaissance, il ne disait qu’une phrase : « dame un beso ». Ce petit enfant tout mat de peau se moque pas mal de la couleur de peau de cette blanche famille, il veut certainement juste que l’on vive ensemble.

Ce sont nos différences qui font nos richesses.

Nous sommes tous des déracinés quelque part, me dit toujours ma mère, le bonheur c’est juste de vivre ensemble, d’échanger des cultures, des lectures, des recettes et de passer de bons moments…

A.

« Va voir un peu ailleurs si j’y suis ».

Tu te rappelles lorsque j’étais petite et que tu me répétais cette phrase sans cesse? J’y pensais souvent, je me demandais pourquoi tu étais comme ça avec moi. Depuis j’ai grandi, tu te vantes de mes réussites alors que tu n’y es pour rien. J’ai toujours voulu que tu m’aimes, ou juste recevoir quelques gestes qui m’auraient prouvé que te ne me détestes pas. Mais rien ne vint. Je ne peux pas parler de ces longs moments où tu m’as enfermée dans cette pièce noire. J’avais peur et je pleurais. Pourtant tu gâtais mes frères. Le plus dur pour moi était de te voir dire à ma maternelle que tout s’était bien passé, avec ce sourire si faux que tu sais si bien faire. Je ne sais pas si c’est de la haine, mais je sais au moins que je t’en veux. Savoir que quelqu’un ayant une partie de mon sang soit si méchant me dégoute.

V.

Moi, Jean Louis, 97 ans, avec une vie pas très jolie. Je suis dans une maison de retraite depuis quelques années maintenant. Ma famille vient me voir seulement pour les anniversaires et les fêtes. Mes petits-enfants me font tous les ans trois pages de cadeaux que je dois leur acheter pour Noël. Je ne comprends pas ces enfants. Dans cette maison de retraite, on ne fait rien d’extraordinaire : jouer aux cartes et aux échecs voilà nos seules occupations. Moi, j’aimerais sortir, visiter des musées comme quand j’avais 20 ans. Je suis différent de mes amis car tout d’abord je préfère lire l’Encyclopédie alors qu’eux la télé leur suffirait mais heureusement que Jean-Charles est un peu comme moi. J’ai fait de grandes études pour objectif d’avoir beaucoup d’argent pour faire le bonheur autour de moi. Mais ma famille ne rêve que d’une chose c’est que je ne sois plus dans ce monde car avoir l’héritage ça leur apporte plus que de s’occuper d’un « vieux » comme ils diraient. J’ai une vie très difficile car quand je vais dans la rue les personnes plus jeunes se moquent ! Oui, je marche doucement, je prends le temps. Ces jeunes devraient faire pareil car ils ont toute la vie devant eux.

 

Moi, Jean-Louis, 97ans, j’ai perdu toutes mes dents, je ne tiens plus debout si je n’ai pas ma canne. Je n’ai plus d’enfants, ils sont tous morts, comme mes soeurs et frères. Je suis le seul encore en vie de ma famille. Je n’ai plus de maison, je l’ai perdu au casino de Las Vegas, donc j’habite dans une maison de retraite, avec des vieux, qui me ressemblent et me comprennent. D’ailleurs heureusement qu’ils sont là, sinon il ne me resterait plus rien, parce que j’ai tout perdu : famille, dents, argent, maisons,.. Le seul truc qu’il me reste aujourd’hui, c’est ma vie et eux !

A.

Moi, Jean-Louis, 97ans, je suis un vieux monsieur qui vit seul dans sa grande maison.
J’aime faire des parties de cartes et aller dans ma grande bibliothèque. Depuis quelques temps, je ne sors plus de chez moi, parce que les jeunes du quartier me jettent des pierres dès que je mets le nez dehors .. De nos jours, il n’y a plus aucun respect. Dans le temps, on respectait les personnes âgées, mais aujourd’hui … plus rien n’est comme avant … Hélas ! Dans le temps, les vieux étaient respectés, dans certains villages, on les appelait même « les sages » ! Alors qu’aujourd’hui … Aujourd’hui les vieux, tout le monde s’en fout, plus personne ne s’en occupe. Tout ce que les gens veulent c’est qu’on meurt, pour qu’ils soient tranquilles. Parfois même, les vieilles personnes sont discriminées ! On les traite comme des moins que rien ! Pourtant, nous ne sommes pas des moins que rien, nous avons été jeunes, comme tout le monde …

E.

Moi, Jean-Louis, 97 ans et quasiment plus aucun souvenir.

Toutes ces choses que l’on souhaite, qu’on attend, qu’on espère, je les oublie peu à peu. Tous ces rêves qui font une vie : passer ces diplômes, se marier, avoir des enfants ; tous ces souvenirs, qui ont fait de moi l’homme que je suis, se perdent avec le temps.

On ne se rend pas tout de suite compte du mal qui vous atteint .Au début, on oublie simplement un rendez-vous chez le médecin, l’endroit où on a laissé ses clefs et tout cela passe pour de l’étourderie.

Puis cela devient de plus en plus fréquent et enfin un jour le verdict tombe : Alzheimer ou « Maladie neurologique dégénérative » comme ils disent.

Ils ? Ce sont tous ces médecins qui vous parlent en utilisant tous leur jargon médical, utilisant les termes aphasie, apraxie ou agonosie et vous remplissent la tête d’incertitude et de doute.

Ils vous parlent de cette maladie, vous expliquent qu’il n’y a rien à faire pour l’arrêter, qu’elle nous forcera à partir de chez nous et qu’elle produira notre mort.

Aujourd’hui alors que je sais que ma fin est proche je n’ai pas peur de la mort.

Je l’attends plutôt comme une délivrance.

J’ai bien vécu, je n’ai pas de regret à part peut-être celui de n’avoir pas dit assez aux personnes qui étaient autour de moi à quel point je les aimais, car la réalité est : peu importe les souvenirs, l’important ce sont les personnes avec qui on les construit. Tous ces rêves qui font une vie : passer ces diplômes, se marier, avoir des enfants ; tous ces souvenirs, qui ont fait de moi l’homme que je suis, se perdent avec le temps.

M.

Moi je n’aime pas ces gens-là, ces gens qui méprisent les personnes qui viennent d’ailleurs. Ils disent qu’ils sont différents. Quelles différences ? Nous sommes pareil : nous avons tous deux bras, deux pied,s des cheveux et un nez ! Certes la couleur de peau n’est pas la même, mais nous sommes de la même espèce , l’être humain, alors pourquoi des humains sont traités comme des animaux ?

MARIE-LOU

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Homme, es-tu capable d’être juste ? Regarde cette femme en face de toi, fais le lien avec la mitraillette que tu tiens entre tes mains. Es-tu ûr de vouloir faire ça ? Tuer n’est-il pas un péché ? T’a-t-on élevé comme ça ? Qui es-tu pour pouvoir faire justice ? Cette femme a peut-être trompé son mari mais toi, tu es bien polygame, non ? Si tromper est un crime alors toi aussi tu dois être à sa place. Comment ? Tu dis que ça n’a rien à voir ? Pourquoi donc ? Être un homme ne veut pas dire être supérieur. Tu as peut-être plus de force que cette femme, mais c’est tout.

Et oui ! Elle te regarde dans les yeux, tu ne lui fais pas peur malgré tous les coups que tu lui as donnés en prison hier.

Premier tir

Elle se tient là, debout devant toi, tu lui as seulement touché l’abdomen. Elle te défie. Quoi ? Toi, homme, tu baisses les yeux devant elle, femme ? Maintenant elle t’intimide, elle te résiste. Tu es déstabilisé, ça t’énerve, tu ne sais plus quoi faire. Il suffit juste que tu lâches cette arme et tout ça sera fini. Ah non ! C’est vrai, tu ne peux pas faire ça, tu es un homme, un vrai, tu ne peux pas baisser les bras, tu as ta « fierté ».

Deuxième tir

Ça y est, elle est par terre, elle est morte. Tu es fier de toi ? Tu dis te battre pour la liberté de ton pays mais tu n’es même pas capable de protéger celle des femmes.

ELISE

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Moi, je n’aime pas ces gens-là
ces personnes toujours contentes, joyeuses
ça m’énerve.
Ces personnes honnêtes
ça me révolte.
Ceux qui disent toujours merci
ça m’irrite.
Ces gens à la peau mate ou foncée
ça m’horripile.
Moi, je n’aime pas ces gens-là
J’aime les gens comme moi, qui n’ont pas froid aux yeux,
qui se plaignent pour un rien.
Ah oui je les aime
J’aime voir les gens se disputer, se quereller pour un rien.
J’aime les voir pleurer
Ah oui que j’aime ça!!

CELIE

 

Va voir un peu ailleurs si j’y suis petit clandestin du Bahreïn. Retourne donc dans ton pays au lieu de squatter le mien. Il n’y a pas de place ici pour toi et les tiens. Tu es un bon à rien, et ne crois pas que tu pourras fuir les misères qui te sont destinées.

Non seulement tu es un lâche car tu abandonnes ton pays natal , mais en plus , paresseux que tu es , comme si cela ne suffisait pas , au lieu d’être reconnaissant auprès de la France , de ma France qui t’héberge , tu enfreins les lois , n’en faisant qu’à ta tête . Ta façon de trahir ces pauvres gens qui ont cru en ton honnêteté me révolte. Et tout ça pour quelques pièces. Tu ne penses qu’à arnaquer, il ne te vient pas à l’idée d’être respectueux. Ce qui compte pour toi c’est ta survie ? Le reste t’est égal. Alors quand tu me demande de l’aide, je n’ai qu’une chose à te répondre ; va voir ailleurs si j’y suis.

DELPHINE

Lycée Paul-Jacques BONZON

Rapport d’incident,

A l’attention de : Mme la CPE, Mme la proviseure

Ce jour, durant la pause de midi, mademoiselle Coraly ORPHA, Seconde D et Noa XELA, Terminale S-B ont eut une altercation avec un certain nombre d’autres élèves.

L’altercation tout d’abord verbale s’est suivie d’un échange de coups portés notamment par le jeune N. XELA.

Une intervention rapide des surveillants a permis la séparation des différents protagonistes qui se sont rapidement éparpillés dans la cour.

Il nous a été impossible d’identifier les autres perturbateurs, et nous espérons que Mlle ORPHA et M XELA pourront nous renseigner sur leurs identités.

Nous tenons à préciser que l’intervention prompte des éducateurs a été permise par la nouvelle organisation de la surveillance de l’établissement.

Sincères Salutations

L’équipe des surveillants

Les deux femmes se regardèrent puis l’une d’elle ouvrit un dossier posé sur le bureau ; le dossier de Coraly ORPHA.

Ce dossier contenait un avis de décès et plusieurs lettres : une d’un juge des affaires familiales, une d’un responsable de l’ASE du Finistère, et une de l’assistante maternelle qui s’était occupée de Coraly durant l’année précédente.

La conseillère d’éducation resta indécise devant ce dossier :

« Quels sont ces documents ? Que font-ils dans le dossier de cette jeune fille ?

-Les parents de Coraly ont eut un accident de voiture il y a un peu plus d’un an. Ils sont morts sur le coup, et son grand frère a été touché à la moelle épinière : il est paraplégique

-Pauvre petite… Elle était dans la voiture ?

-Je peux lire la lettre de l’assistante maternelle ?

-Bien sûr. La voilà.

-Merci. »

Morlaix, Finistère, le 18 août

On me demande de parler de Coraly ; mais je ne sais par où commencer…

Coraly est une jeune fille qui a dû murir prématurément. Lorsque je l’ai rencontrée, quelques jours après m’accident, j’avais l’impression d’avoir à faire à une poupée. Elle ne parlait pas, effectuait mécaniquement –et d’elle-même – les tâches ménagères et gardait le visage impassible. Son frère était alors encore inconscient.

Lorsqu’il s’est réveillé, Coraly a, pour la première fois depuis que je la connaissais, prononcé quelques mots : «on peut le voir ? »

Je l’ai immédiatement emmenée à l’hôpital pour qu’elle puisse voir son frère.

En rentrant dans la chambre, elle est restée indécise pendant quelques secondes, puis elle s’est jetée dans les bras que lui tendait son frère en criant « Baptiste ! »

Celui-ci a ensuite fait asseoir sa s?ur avec lui sur le lit, et, voyant qu’elle ne craignait rien, je suis allée l’attendre dans le couloir et j’en ai profité pour parler avec les infirmières qui s’occupaient de Baptiste.

Coraly n’est quasiment pas ressortie de la chambre de Baptiste pendant toute l’hospitalisation de celui-ci. Les infirmières lui ont installé un lit de camp pour qu’elle puisse passer les nuits avec son frère.

Les médecins n’ont jamais caché à Baptiste qu’il ne pourrait plus marcher.

Lorsque Baptiste a commencé sa rééducation, il a fallu trouver des solutions pour que Coraly puisse continuer à voir son frère. Elle prenait le train pour se rendre au centre de rééducation le mercredi midi et revenait l jeudi matin ; elle faisait de même le vendredi soir pour revenir le lundi matin, le tout avec l’accord du responsable de l’ASE.

En classe, Coraly ne parlait à personne. Ses résultats étaient brillants (elle a obtenu son brevet avec mention très bien) mais elle ne donnait l’impression de ne vivre que pour son frère. J’ai appris que personne, outre les professeurs mis au courant par la principale, ne savait que Coraly avait perdu ses parents.

Fin juin, lorsque Baptiste a terminé sa rééducation, il a annoncé qu’il devait se rendre en Rhône-Alpes car c’était le seul endroit où une faculté proposant les cours qui l’intéressaient était accessible aux personnes en fauteuil roulant.

Pour Coraly, il était inconcevable de vivre loin de son frère. Elle a donc, avec mon accord et celui du directeur de l’ASE, écrit une lettre à l’attention du juge des affaires familiales de Brest, pour obtenir la permission de vivre avec son frère, sous la responsabilité de celui-ci. Je recopie les lignes les plus émouvantes de cette lettre :

Baptiste, c’est mon grand frère, mon “frangin”. Mes parents ne sont plus là, je n’ai pas d’autre famille que baptiste et je ne peux pas imaginer ma vie sans lui. Laissez nous vivre ensemble, on veille l’un sur l’autre, on est là l’un pour l’autre, c’est ça le principal pour nous…

Touché par cette lettre et par les différents témoignages, le juge a accepté de nommer Baptiste tuteur légal de Coraly.

Ils ont tout de suite recherché un logement à proximité de la faculté, et je les ais accompagnés dans leur voyage pour les aider dans leurs démarches.

Nous avons fini par trouver un appartement à mi-chemin entre le lycée et la faculté, à quelques pas d’un arrêt de bus.

Baptiste s’est fait embaucher dans une librairie voisine de la faculté, où il irait travailler durant sa pause de midi, et j’ai décidé de les aider financièrement jusqu’à ce que Coraly puisse elle aussi travailler.

Baptiste a tenu à se charger lui-même de l’inscription de Coraly au lycée.

Autant dire que les adieux ont été déchirants : après un an passé chez nous, Coraly faisait presque partie de la famille et mes enfants étaient très attachés à elle.

Je termine cette lettre en parlant du fait que jamais Coraly n’a fait allusion à ses parents, comme s’ils n’avaient jamais existés

Bien à vous

Mme TIATO

Assistante maternelle

La principale se tourna vers sa collègue :

« Qu’en pensez-vous ?

-J’en pense que nous devons entendre ce qu’elle peut avoir à nous dire avant de prendre une décision.

-Donc nous la convoquons ?

-Donc nous les convoquons. Coraly et Noa. »

Les deux jeunes gens se tenaient droits, debout dans le bureau de la principale. Noa avait posé sa main sur l’épaule de Coraly, signe qu’il veillait sur elle.

La jeune fille regardait droit devant elle. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne baissait plus les yeux, qu’elle que soit la situation.

« Et bien, que s’est-il passé ? Nous attendons vos explications.

-Ils s’en sont pris à Coraly, je n’ai fait que la défendre.

-Qu’est ce que tu veux dire par “s’en sont pris” ?

-…

-Ils ont su, je ne sais comment, que mes parents étaient morts. Ils m’ont dit que j’étais orpheline, que de toute façon personne ne m’aimais ; et lorsque j’ai répondu que j’avais un frère, baptiste, ils…

-Ils ont dit que parce qu’il est en fauteuil roulant, il n’est pas normal. Que c’est un infirme et ils l’ont insulté. Termina Noa en voyant que Coraly ne pourrait finir sa phrase.

-Il est pas infirme ! Il est pas anormal ! Il est juste différent, mais il veut mener une vie normale. »

Tous restèrent silencieux. Personne ne savait que dire après de telles paroles, après un tel cri du c?ur.

Noa ouvrit son sac, sortit une pochette et posa sur le bureau un cahier rouge.

« Dans ce cahier, je recueille des poèmes écrits par les personnes que je connais. Il y en a un de Baptiste. »

Noa se tourna vers Coraly, attendant l’assentiment de celle-ci pour lire le poème de Baptiste. La jeune fille hocha doucement la tête, et Noa commença sa lecture :

Ce serait une vie tellement belle

Si je pouvais être comme les autres ;

Ne pas infliger à ma petite soeur

Cette différence qui finit,

Elle aussi, par la toucher.

Ma vie n’est pas simple,

Et elle le sait.

Elle m’aide à affronter ma différence,

Même si elle doit en souffrir.

J’aimerais tellement la protéger…

Nouveaux silences. Nouvelles hésitations.

Cette fois, ce fut la conseillère d’orientation qui prit les devants :

« Je ne connais personne qui soit dans la situation de ton frère. Je ne peux pas savoir ce que tu vis, ni me mettre à ta place, mais j’aimerais te comprendre. Accepterais-tu de nous raconter ce que tu vis ? De nous parler de ton quotidien ? »

Coraly pris le temps de réfléchir. Avec Noa qui veillait sur elle, elle pouvait tout affronter. Mais elle était le seul à qui elle se confiait.

Elle avait vu la lettre de madame TIATO sur le bureau de la principale ; elle savait qu’en acceptant cette proposition, elle devrait parler de ce qu’elle vivait son arrivée dans la vile.

Coraly inspira longuement, puis déclara :

« C’est d’accord, je vais tout vous raconter. »

Elle m’a demandé de raconter, j’ai tout raconté.

J’ai évoqué ma rencontre avec Noa, mon ange gardien.

J’ai parlé de l’inaccessibilité, parce que mon vrai problème est là. Peu de lieux sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant, et les gens sont rarement prêts à faire des efforts pour changer les choses.

J’ai expliqué mes absences injustifiées répétées : Baptiste ne peut monter seul dans le bus qui l’emmène à la fac et je dois toujours être là pour l’aider.

J’ai raconté nos difficultés pour accéder à l’appartement quand l’ascenseur est en panne.

J’ai fait allusion à ma fatigue, car s’occuper seule d’un garçon de 20 ans, ce n’est pas facile tous les jours.

Je me suis surtout plainte du regard que les gens posent sur nous. Ce regard parfois curieux mais toujours plein de curiosité est blessant.

J’ai aussi décrit mes rencontres, parfois houleuses, avec les filles que mon frère de temps à autre à la maison. J’ai tellement peur qu’il souffre…

En fait, c’est cela qui rythme ma vie, qui m’importe le plus : le bonheur de mon frère.

P.