En hommage au nouveau membre du CA de Lyon

taxi« Rachid taxi », de la Marche des Beurs à 2012, la même rage pour l’égalité.

Photo : Rachid Amghar, devant son taxi (SZ)

Un calme qui bout. Sous son apparence de nounours, Rachid Amghar est du genre énervé. Cet homme à la quarantaine enrobée, chauffeur de taxi, assure qu’il n’a pas l’âme d’un militant. Mais depuis qu’il a saisi que les politiques ne comprenaient que le rapport de forces, il s’est engagé. Et prend la parole au nom des habitants des banlieues dés qu’il le peut. Comme lors de la première réunion de concertation des habitants sur la politique de la ville, lancée par François Lamy le 9 janvier à Bobigny, où il a vertement tancé le ministre en lui lançant : « vous voulez donner du pouvoir aux gens mais on est dans des villes où les élus en sont à leur quatrième mandat ». Rachid exprime si bien cette rage des militants des banlieues qui ont l’impression que la gauche ne les entend pas.

A la gare de Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), il  arrive dans son immense taxi, assurant d’emblée qu’il ne voit pas l’intérêt de faire un portrait de lui et qu’il n’aime pas la politique. Tout en lui pourtant respire l’envie de se faire entendre. Grand corps malade, qu’il emmène partout dés que le slameur l’appelle, a fait de son personnage une chanson : « il a un regard de grand frère, un regard plein de tendresse », racontent les paroles. Il est fier de ce surnom « Rachid  taxi », le titre de la chanson. Lui explique qu’il aime les mots comme son métier qui lui permet de rencontrer des gens « un peu comme s’il faisait de la sociologie ».

« La galère de la cité »

Rachid a beaucoup « zoné » avant de s’acheter son taxi. Il a raté le bac, recommencé puis abandonné, enchaîné les petits boulots, connu « la galère de la cité » avant de se ranger.  Il raconte qu’il a commencé à « s’éveiller » comme il le dit joliment lors de la première marche pour l’égalité en 1983. Cet automne-là une trentaine de jeunes de la banlieue de Lyon étaient partis de Marseille pour réclamer une carte de séjour de dix ans et le droit de vote des étrangers.

Des collectifs d’accueil se constituent dans plusieurs villes et la France découvre, médusée, sa jeunesse des banlieues. A l’origine de la marche, il y a les événements dans la ZUP des Minguettes, à Vénissieux (Rhône) sur fond de bavure policière. Une émeute dans une France où les crimes racistes se multiplient et où les jeunes issus de l’immigration se sentent niés. Ce 3 décembre, Rachid, 18 ans, est impressionné par ces rangs serrés qui brandissent les portraits de jeunes « assassinés par la police ». « C’est un militant des quartiers de Blanc-Mesnil, Djamel, qui nous a traîné avec ma bande. Là tout d’un coup dans la rue, je découvrais des milliers de jeunes, fils d’immigrés, qui vivaient la même chose que nous ».

« Mais je suis français, bâbâ! »

L’année suivante, c’est la deuxième marche, Convergences 84 qui réclamait du« mélange » pour faire avancer la France. Rachid prend conscience que ce pays est le sien. Depuis tout petit, il entendait son père, ouvrier à l’usine, lui dire qu’ils allaient« retourner au pays » dans la maison qu’il faisait construire et lui ne comprenait pas comment la Kabylie villageoise pouvait être son avenir. « La première fois que j’ai été voter pour les élections législatives de 1986, mon père m’a dit  » tu te pends pour un Français ?  » je  lui ai répondu scié : « mais je suis français, bâbâ ! » ».

Il sait pourtant qu’il ne l’est pas aux yeux de beaucoup et ça le fait encore enrager :« on veut nous mettre à l’écart et on invente toutes sortes de mots pour faire la différence : beur, rebeu, aujourd’hui Français musulman. On nous laissera jamais tranquille », assure-t-il. « Il n’y a pas d’Arabes en France mais des Français qui ont des accents différents », martèle encore ce père de deux enfants. C’est cette différence sans cesse renvoyée à la figure qui fait de lui un partisan acharné de l’égalité – « l’égalité réelle », précise-t-il aussitôt. Celles des droits et du « mieux vivre ensemble » dans ces quartiers populaires où on manque de tout.

« Le PS nous a roulé dans la farine »

Alors Rachid fait de la politique avec ses potes du Mouvement immigration banlieue (MIB) et ceux du Forum social des quartiers populaires (FSQP). Il est comme ces nombreux jeunes et quadras des banlieues, un peu remuants, un peu à vif, qui interpellent la gauche là où elle pèche et que les politiques regardent avec méfiance. Lui vote, à chaque scrutin, « pour ne pas leur laisser le loisir de dire que je n’en ai rien à faire ». La gauche ne le fait plus rêver depuis longtemps : trop de paternalisme et de renoncements dans les quartiers à ses yeux, pour y croire encore. « Je suis surpris par la rapidité avec laquelle le PS nous a roulé dans la farine sur le droit de vote ! Ils n’ont même pas tenté le débat », lâche-t-il. A la présidentielle, Rachid a voté Mélenchon « parce qu’il a redonné la patate  aux communistes là où j’habite ».

C’est peu dire qu’il aborde la concertation dans les quartiers voulue par François Lamy avec défiance : « on fait une réunion, on se quitte sans prendre de rendez-vous et personne ne sait où ça va se terminer »« Faire avec les habitants » comme le proclame le ministre en nommant Mohamed Mechmache à la tête d’une mission spéciale, il n’y croit pas. Ca fait trente ans que la gauche le prétend, souligne-t-il. Mais Rachid suit quand même de très près le processus et a son idée comment procéder pour que les banlieues soient vraiment écoutées : « il faut demander que les habitants se dotent de représentants, qu’un animateur les aide à dégager des idées, qu’on leur donne des outils pour prendre la parole, se faire entendre jusqu’au ministre », détaille-t-il passionné.   En attendant de voir, il garde son credo : « ici, on est chez nous ». Et le refera entendre, à l’automne, à l’occasion du 30ème anniversaire de la marche pour l’égalité.

« Rachid taxi » par Grand corps malade

Sylvia Zappi