Au CinéDuchère, une exposition trop brève, émouvante et forte, qu’il faut saluer

Cette exposition a été organisée par la Maison des Passages, en partenariat avec le Centre social et la MJC de Saint-Rambert (du 6 septembre au 2 octobre 2016).  Elle concerne un quartier qui se trouve à l’extrême nord du 9e arrondissement, le Vergoin, d’où son titre : « Les sources du Vergoin, quand des habitants partagent leur histoire… » Ce dernier mot attire notre attention sur tout ce qu’elle doit au travail d’une historienne, Françoise Lantheaume, consacré à une histoire locale et récente, aux confins de la sociologie et de tout un ensemble de sciences humaines mises au service du « vivre ensemble » dans un quartier dont le trait remarquable est l’extrême diversité ethnique de son peuplement. D’où le référence au philosophe antillais Edouard Glissant, mort en 2011, qui a fait l’éloge de la diversité et de ce qu’il appelle « le tout-monde » où il voit la source de toute créativité.
Cependant le propos de l’exposition est d’abord très concret, avant d’être philosophique. Il s’agit d’un quartier dont le peuplement s’est fait à date récente, dans les dernières décennies du 20e siècle. L’ironie du sort veut que ce lieu n’ait connu pendant quelques siècles que de riches et belles propriétés, appartenant par exemple à des producteurs du Beaujolais. Cependant en 1968 il est racheté par l’Office HLM de Lyon et c’est en 1971 que les premiers habitants viennent s’y installer, dans des conditions dont on imagine sans peine la précarité.
On peut sans doute trouver encore dans le quartier quelques traces de ce qu’il fut antérieurement mais ce n’est pas le but de l’exposition, qui est tournée vers l’histoire récente d’un quartier d’immigration comme celui-là. Pour donner un sens précis au mot diversité, l’exposition rappelle qu’on peut trouver dans cet endroit  « des Ouzbeks, des Géorgiens, des Chiliens, des Brésiliens, des Maghrébins, des Rwandais » mais aussi des Français qui ont préféré venir ici quand ils l’ont pu plutôt que de rester dans d’autres quartiers de Lyon où ils vivaient dans des conditions matérielles difficiles.
Pour l’essentiel, les panneaux qui constituent l’exposition sont consacrés au témoignage de certains habitants, dont une proportion importante de femmes, et de Maghrébines. A les lire de près on a l’impression d’une évolution qui malheureusement va plutôt dans le sens de la déception. Sur l’arrivée dans ce quartier certains des témoignages sont vraiment émouvants, car ils disent la satisfaction d’avoir pu enfin se poser quelque part, après une errance et une recherche qui a parfois duré des années. Comme le raconte avec humour un Algérien (dont la famille est originaire de Sétif, ce qui semble assez fréquent au Vergoin) : « On a pris l’ascenseur social, on s’est retrouvés au 5e étage au lieu du rez-de-chaussée ou on habitait précédemment. Et on avait un balcon…! »
Mais lorsqu’on passe à des évocations plus récentes et même tout à fait contemporaines de la vie dans le quartier, les sujets d’insatisfaction se multiplient et il ne suffit pas de dire que ce sont à peu près toujours les mêmes que dans d’autres quartiers défavorisés : dégradation des immeubles en copropriété, incivilités diverses qui polluent l’espace public, absence déplorable de mixité sociale etc. Le comportement de certains habitants est évidemment critiqué mais plus encore l’incurie des pouvoirs publics, qui apparaît par exemple au chapitre des transports en commun, un véritable casse-tête lorsqu’il s’agit de conduire les enfants à l’école. Ce qui est d’autant plus regrettable que de manière unanime les habitants expriment l’importance qu’ils attachent à la scolarisation.
La tendance actuelle étant de surestimer l’importance des différences religieuses, on constate qu’elles ne sont pas du tout mises en avant par les habitants du Vergoin, ce qui certes n’est pas forcément valable pour d’autres quartiers mais constitue en soi un exemple intéressant. De même le racisme et les discriminations sont mentionnés mais pas comme un aspect primordial et déterminant. C’est dire l’intérêt d’une telle exposition, au moment où l’opinion commune est entièrement façonnée par les médias.
Certains des témoignages mettent en avant des aspects qui caractérisent notre société en général et par exemple les villages de la France rurale aux aussi en grande difficulté. On y pense par exemple lorsqu’une personne vivant au Vergoin et qui ne se plaint pas pour elle-même parce qu’elle a une voiture, souligne la gravité des problèmes posés par la disparition des magasins : et qui en effet se soucie de savoir comment font leurs courses les gens qui ne sont pas motorisés ?
Ce n’est pas par souci de compensation que l’exposition montre aussi l’existence de bonnes volontés, qui ne sont pas sans effet. De ces témoignages ressort un appel, d’autant plus important qu’il n’est pas misérabiliste, et que les améliorations qu’il souhaite provoquer ne semble pas utopiques. Patrick Chamoiseau, autre écrivain antillais convoqué au terme de cette exposition, parle du « remous » où se situe le « champ de bataille » : rien qui ressemble à la passivité ni à la résignation.

Denise BRAHIMI

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