Haythem Zakaria exposé à la galerie Regard sud

Il serait sans doute tout aussi intéressant de regarder travailler cet artiste que de voir les résultats de son travail. Avant d’avoir rencontré les œuvres qu’il expose en ce moment (du 17 novembre au 7 janvier) à la Galerie Regard sud—le mot  rencontre se justifiant par le fait qu’on se sent comme interpellé et confronté à l’inattendu — qui pourrait se dire familier du « dessin au métronome » ? Il semble que ce jeune Tunisien d’origine, qui vit entre Tunis et Paris, a inventé ce qu’on n’ose appeler un procédé —car le mot serait réducteur et purement technique. En fait, ce qui intéresse et retient l’attention dans le travail de cet artiste est qu’on ne peut ignorer toute la réflexion, voire la philosophie, qui accompagne cette procédure subtile. Elle est d’autant plus digne de considération que manifestement maîtrisée, en même temps que toujours et encore expérimentale.
Il ne s’agit pas moins que d’intégrer la dimension du temps dans l’œuvre donnée à voir sur papier, c’est-à-dire dans l’espace à deux dimensions qui est celui de ses dessins. Et c’est ici qu’intervient le métronome, instrument dont on sait qu’il est utilisé principalement dans la pratique musicale, pour donner un tempo rigoureux aux exécutants. Le métronome pourrait paraître antinomique avec l’art puisqu’il est un instrument qui ne doit rien à la libre fantaisie et qui est même destiné à la contrôler. En tant qu’artiste intellectuellement ambitieux et exigeant, Haythem Zakaria a choisi de s’y soumettre, c’est-à-dire d’y soumettre le rythme de sa main pendant qu’il dessine. Incontestablement, il introduit par là dans sa création la dimension de la temporalité.
Du point de vue de l’artiste, qui est explicite à cet égard dans certaines de ses œuvres, cette libre soumission (paradoxe qui donne à l’œuvre sa tension créatrice) est comparable à celle qu’on trouve au cœur du soufisme et au principe même de cette expression mystique. On sait que ses adeptes introduisent un tempo dans leur musique et dans leur danse notamment par la pratique de la répétition.
Pour qui voudrait juger de cette tentative certes très intellectuelle, néanmoins passionnante, par les réalisations que l’exposition de Regard sud met sous leurs yeux, le premier constat est qu’on y trouve un mélange de rigueur et d’élégance, où les nuances de gris, faisant passer du blanc au noir, séduisent par leur subtilité. Apparaît ensuite, quand le regard s’approfondit, une complexité due à la diversité des formes et à la composition qui les organise. On y trouve à la fois une prolifération de mini-détails, en droit illimitée, et une volonté de regroupements synthétiques qui enferment certains espaces, quoique souplement et sans brutalité. Des formes rigides s’imposent, y compris par la couleur, ici le noir, cependant que des lignes gracieusement courbes laissent flotter en leur centre des espaces vides ou blancs. Entre les deux, ou à côté des deux, on trouve aussi des fragments de ce qui pourrait être une sorte de tissu conjonctif aux mailles serrées, îlots d’une autre substance dont on ne sait pas au juste ce qu’elle est —mais on pressent qu’il ne faut pas la rabattre d’emblée sur l’une de celles qui constituent notre monde sensible. La perception du monde matériel ne semble pas être ce qui intéresse principalement cet artiste, en tout cas pas comme on dit au premier degré.
Si l’on pense par exemple à sa représentation d’une dune dans un ample paysage désertique, surmonté par un large ruban de nuages en fuite, il est bien vrai qu’on peut apprécier ce paysage pour lui-même mais alors que dire des énormes taches noires qui sont venues s’imposer sur lui, étant d’origine et de matière inconnues ? Elles font plus que détourner l’attention, elles interpellent, dérangent et de toute manière interviennent pour modifier notre vision. Le paysage nous tirait dans le sens d’une fascinante minutie, mais n’y a-t-il pas aussi ce qui est massif, uniforme et impénétrable ?
L’effet très positif d’une telle exposition est qu’elle donne envie d’en savoir plus. Et tout permet de penser que cet espoir ne restera pas vain, car l’artiste, si jeune qu’il soit, en a déjà beaucoup d’autres à son actif avant celle-là. Tout indique que nous avons affaire à ce qu’on appelle en anglais a work in progress (travail en cours) non pour laisser entendre qu’ il y aurait des progrès à faire mais parce qu’il s’agit d’une démarche dont on sent bien qu’elle n’en restera pas là.

Denise BRAHIMI

Photo : Anamnesis II (détail). Tirage photographique pigmentaire sur papier archival, 200cm x 40cm, 2015 ©Haythem Zakaria

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