Regard sur 2 ouvrages : “L’Algérie dans les Brigades internationales 1936-1939 et ses lendemains” et “Un maure dans la sierra”
Georges Gonzalez, L’Algérie dans les Brigades internationales 1936-1939 et ses lendemains, L’Harmattan, septembre 2016
Rénia Aouadène, Un maure dans la sierra, Marsa éditions 2016.
La participation d’Algériens de toutes origines et conditions à la lutte contre le fascisme espagnol au sein des Brigades Internationales est un fait peu connu. Deux livres sont sortis récemment, qui traitent ce sujet. C’est d’abord l’essai historique de notre ami Georges Gonzalez, auquel il a consacré les dernières années de sa vie (il nous a quittés tout récemment, et cet article est aussi un hommage amical et attristé).
Presque en même temps, un roman de la poétesse hispanisante Rénia Aouadène, de parents algériens, qui vit à Marseille, fait revivre la figure du militant communiste et nationaliste Rabah Oussidhoum, parti combattre aux côtés des Républicains espagnols, à la tête du bataillon Ralph Fox, de la IXème Brigade.
Ces deux livres vibrent de la même admiration pour ces militants qui vont jusqu’au bout de leur idéal, quel que soit le prix à payer, pendant que les nations regardent, inertes s’effondrer les principes démocratiques avec le prix exorbitant qui sera à payer, et dont l’Espagne sera le prologue.
Selon les auteurs on évalue à un millier les combattants venus d’Afrique du Nord combattre le franquisme. Georges Gonzalez croise minutieusement ces sources. Pour l’essentiel des militants communistes arabes, berbères, juifs ou européens, athées ou croyants quittent l’Algérie, souvent par Oran, à bord du bateau navette Jaime II en direction d’Alicante, ou par tout autre moyen. Par ailleurs, d’autres maghrébins de France, souvent syndicalistes CGT ou du syndicat anarchiste CNT passent les Pyrénées.
Ils sont notamment amenés à combattre les “Regulares” recrutés par Franco parmi les populations rifaines.
Le siège de l’administration des Brigades Internationales se trouve à Albacete, dans la Mancha, du moins tant que l’avancée des Franquistes ne les a pas obligés au repli vers le nord.
Georges Gonzalez se livre à de précieux rappels historiques, concis mais précis, qui permettent au lecteur peu informé sur l’histoire de la Guerre d’Espagne de bien situer le contexte. Les citations utiles sur les positions de responsables algériens, européens sont des balises bienvenues. Les témoignages et les références sur l’extrême violence de cette guerre nous rappellent combien l’Europe en paix d’aujourd’hui a traversé en quelques dizaines d’années d’atroces épisodes, dont il faut éviter le renouvellement.
Le lecteur est impressionné par la conviction militante inébranlable qui anime tous ces acteurs pourtant convaincus du caractère désespéré de leur combat. Combat que beaucoup d’entre eux poursuivront dans les armées ou les maquis de la Deuxième Guerre mondiale, dont cette guerre a été le galop d’essai… L’auteur rappelle aussi les conditions inhumaines dans lesquelles les réfugiés ont été parqués, après la « Retirada » tant en France qu’en Algérie… Ces héros qui avaient mené les combats qu’une mobilisation visionnaire des nations européennes aurait permis d’éviter ou de limiter ainsi que les immenses drames qui les accompagneront, ne recevront aucune reconnaissance, au contraire. Certains seront condamnés à mort sous Vichy, mais heureusement épargnés par le débarquement américain.
L’auteur prend soin dans ce très riche petit livre de dresser le portrait d’une bonne trentaine de ces combattants, extraordinaire galerie d’hommes et de femmes indomptables, parmi lesquels Maurice Laban, mort en 1956 dans le petit maquis d’extrême gauche de l’Ouarsenis, Georges Raffini, disparu dans les maquis des Aurés avec ses compagnons communistes le bâtonnier Laïd Lamrani et le Docteur Counillon, Lisette Vincent qui obtient la nationalité algérienne, mais doit quitter l’Algérie dans les années 70.
Un long portrait est dressé de Rabah Oussidhoum, ce natif de Darma, en Kabylie. Ce grand combattant a exercé de hautes fonctions de commandement dans les Brigades, a été plusieurs fois blessé, puis trouve la mort le 25 mars 1938 près de Miraflorès et Ségovie…
C’est donc aussi ce héros Kabyle dont va s’inspirer Rénia Aouadène pour son roman, situant son personnage dans son milieu familial, dressant de lui un portrait sensible. Les livre est construit autour d’une convergence de deux trajectoires de vie, la sienne et celle de la libre Amalia, que seule cette histoire extraordinaire de la Guerre d’Espagne a pu amener à se croiser. L’auteure nous offre une série de portraits de personnages, tant espagnols qu’algériens qui animent cette histoire pour le plus grand plaisir du lecteur.
La trajectoire de Rabah est enracinée dans une tradition familiale de résistance à l’oppression coloniale et l’injustice. Son grand père, Hadj M’hamed s’était enrôlé auprès du Cheikh Aheddad, pour lutter contre l’occupant. Les récits de sa Djedda ont forgé très tôt chez lui une haine de l’oppression subie par son peuple, l’humiliation, la déportation au bagne de Nouvelle Calédonie… Son instituteur, monsieur Lavédrine, immergé avec passion dans cette population Kabyle, lui transmet ” les valeurs pour construire un monde meilleur” et repère son exaspération et sa prise de conscience politique précoce. Rabah s’engage dans l’armée française, pour acquérir la nationalité française en même temps que la connaissance du combat, pour libérer son peuple. Elément complémentaire, Georges Gonzalez nous apprend dans son livre qu’il échoue pour cause de blessure à rejoindre Abd el Krim et les révoltés du Rif. C’est finalement l’Espagne qui sera son ultime combat.
Mais avant cela, il y aura connu cette femme espagnole extraordinaire d’indépendance et de courage, Amalia, venue au sein des Brigades accomplir une mission d’infirmière aux côtés des « combattants de la liberté ». Un superbe amour au milieu des combats sanglants embellit ces vies tragiques.
Mais la mort frappera, et Amalia poursuivra sa vie jusqu’à la fin dans le souvenir de ce “moro” courageux et timide.
Ces deux livres illustrent ce lien étonnant qui dans la longue durée unit l’Espagne et l’Algérie, moins évident, plus ténu que celui entre l’Algérie et la France, mais pas moins puissant. Ils nous donnent aussi à découvrir de superbes personnalités qui agissent au milieu des fracas de l’histoire.
Michel WILSON