Regard sur le roman « L’Effraction » d’Omar BENLAALA

Roman « L’Effraction » d’Omar BENLAALA – Ed. L’aube, 2016

Coup de Soleil Rhône-Alpes, en partenariat avec les universités Lyon II et Grenoble-Alpes Université, a reçu Omar Benlaala à Lyon et Grenoble les 2 et 3 novembre derniers.

Cela m’a valu de très riches moments auprès d’une personne séduisante, et la découverte du parcours de vie et d’écriture d’un écrivain encore nouveau et jeune, mais plein d’une folle sagesse et d’une remarquable maîtrise de son expression.
Les rencontres passionnantes et très profondes avec deux publics universitaires élargis, à Lyon et Grenoble, et celui de la Librairie Arthaud de Grenoble, l’échange avec le journaliste de la Radio News FM de Grenoble ont été autant de moments privilégiés pour entrer intimement dans la démarche d’écriture d’Omar Benlaala.
« L’Effraction » ne peut être abordé séparément de son livre précédent, « La Barbe » (Seuil, 2015), premiers jalons, peut-on supposer, dans une trajectoire prometteuse.

Le premier récit autobiographique est suscité par l’appel à écrits que Pierre Rosanvallon organise sur le site Raconter la Vie, ou il a remarqué le texte d’Omar, et l’a accompagné dans sa transformation en livre publié dans sa collection éponyme au Seuil.
La « machine à écrire » est lancée et dans un délai assez court Benlaala publie une fiction en forme de double dialogue littéraire.
« La Barbe » est l’itinéraire d’un jeune homme en rupture scolaire, petit délinquant qui va trouver le droit à l’initiative et à l’expression dans la pratique du prosélytisme musulman, puis à une forme d’extase spirituelle sur les pistes de danse sous ectasy, avant d’atteindre une certaine sérénité réconciliée avec l’écriture et l’intervention culturelle auprès d’adolescents. Et surtout la lecture et l’écriture, avec la gourmandise qu’engendre un long sevrage.
« L’Effraction » est le dialogue imaginaire (mais très documenté) d’un « double » du personnage du dernier roman d’Édouard Louis, son agresseur dans « Histoire de la violence » (Seuil, 2016). Omar BENLAALA donne la parole au jeune Kabyle quasi silencieux dans le roman d’Édouard Louis, un peu comme Salah Guemriche et Kamel Daoud donnent parole et vie l’un au fils l’autre au frère de l »Arabe » tué par Meursault dans l’Étranger. Il a fallu 70 ans aux interpellateurs de Camus pour ouvrir de séduisants dialogues d’outre-tombe, en redonnant vie au passage à « Monsieur Albert » ou à « Albert Meursault », leurs avatars notre grand homme.
Il n’a fallu que quelques mois à Benlaala pour ouvrir ce dialogue littéraire lui aussi passionnant, mais il est vrai qu’Édouard Louis n’est pas Camus… Pourtant, différents éditeurs, consultés par Benlaala, ont montré une attitude frileuse, ou n’ont pas donné suite, tout en montrant leur intérêt. Une maison d’édition a proposé une réécriture respectant la logique et la forme accusatoire du livre d’Edouard Louis : les éditions de l’Aube ont accueilli le livre en l’état, et pourraient accueillir les prochains livres de Benlaala.
Ce parcours éditorial n’est à mon sens pas anecdotique mais illustre l’état d’esprit post colonial d’une partie de nos institutions culturelles. Il faut aussi signaler un article du Figaro sur La Barbe, plutôt fidèle au livre et au parcours de l’auteur, mais qui se concluait par « bienvenue en France », curieuse apostrophe à ce fils de Ménilmuche… Citons aussi cet article du Point intitulé « Un islamiste repenti répond à Édouard Louis » qui montre l’angle d’approche de certains médias vis-à-vis de l’écriture d’auteurs perçus comme appartenant à un « ailleurs ».

Benlaala est un écrivain à part entière qui maîtrise sa langue, écrite et parlée, sa pensée, et le contexte culturel, social, familial, mais aussi géopolitique de son écriture.
Celui qui a découvert l’expression littéraire au travers du panache de Cyrano interprété par Depardieu dans la tirade des nez dit pourtant apprendre tous les jours avec l’écriture.
Son Réda dialogue avec un vrai sociologue qui fait écho à la dimension sociologique revendiquée par Edouard Louis et ses références à Bourdieu. Ces entretiens se déroulent dans le cadre d’une enquête du sociologue sur la sexualité des descendants d’immigrés. Cela amène Benlaala à parler d’une certaine misère sexuelle, de masturbation et d’éjaculation précoce, ce qui lui vaut une certaine incompréhension de sa famille, dont la pudeur est troublée : sa maman analphabète très contente d’avoir assisté à un débat public autour du livre de son fils, lui reproche juste de dire quelques « gros mots »…
C’est dire qu’on entre dans l’intimité de son personnage, dans sa rage et sa frustration où la dimension culturelle est importante, le complexe d’un écart de savoir, d’accès au langage. Le clivage, la fracture sociale sont d’abord affaire de mots, d’images et de références langagières. La violence qui monte chez Réda envers le Édouard (il l’appelle Hedi quelquefois) qui l’a dragué dans la rue la nuit de Noël vient du refus d’Hedi de partager son savoir sur l’histoire de la guerre en Kabylie où son oncle a perdu la raison après avoir été torturé.
Le Kabyle violent d’Édouard Louis, à qui il ne laisse pas vraiment la parole dans son « Histoire de la violence » prend chez Omar Benlaala figure humaine. Son Réda n’est pas une victime, mais doit porter tous le poids d’une assignation à résidence post coloniale, que l’indifférence autocentrée du jeune homme brillant venu chez lui pour un « coup » d’une nuit de Noël ne sait pas écouter.
Dans la réalité, le roman d’Édouard Louis est devenu pièce judiciaire à charge contre son agresseur, qui risque une condamnation pour tentative de meurtre. L’œuvre littéraire rend place dans un dossier d’instruction…
Omar Benlaala veut dire à « Eddy » qu’il ne peut à son âge tirer des enseignements universels et définitifs de sa jeune expérience. Pour l’instant, le dialogue n’a pas eu lieu, les propositions de conversation publique avec Édouard Louis n’ont pas reçu de réponse.

Heureusement, dans le champ de la littérature, deux oeuvres se répondent dans un riche et passionnant dialogue post colonial, réflexion de débats sous-jacents à notre société française. Nous bénéficions ainsi de la montée en puissance d’un nouveau venu en littérature dont l’écriture nous promet, espérons-le, de futurs nombreux rendez-vous. Comme par exemple dans ce superbe passage où le sociologue qui attend Reda dans un café décrit le talent du chanteur aveugle Mohamed qui s’y produit. Omar travaille auprès de ses parents à recueillir leur récit de vie en vue du prochain livre.
Vous l’aurez compris, l’auteur de ces lignes est devenu inconditionnel de l’oeuvre et de la personnalité d’Omar Benlaala.

Michel WILSON

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